Jour 22 – Sapin de sapins
Dans une plantation abracadabrante, des sapins de Noël couverts d’un léger frimas, poussent sous un arbre de verre, jusqu’à la récolte de novembre. Et débute alors le tour du monde des beaux conifères qui égaient les festivités de Noël. C’est mon Sapin de sapins.
Dans ma forêt, il y a aussi beaucoup d’autres arbres… Depuis près de trente ans, je choisis notre sapin de Noël chez monsieur Nowell, au marché de Noël du Vieux-Port. Il connaît mes goûts et les exigences de ma blonde. Notre sapin doit être très grand pour que l’étoile des Rois mages effleure le plafond de notre salon. De loin, nous préférons les sauvageons, leur désordre, leur inégalité, leur «sans culture», mais ils sont parfois trop rebelles, c’est le risque. Les sauvageons, c’est comme le vin, il y a d’excellents crus et quelques fois, des moins bons. Plusieurs nous pâment mais certains nous damnent.
Je me souviens particulièrement d’un spécimen à la forte tête. Mécontent d’avoir été déraciné de sa forêt sans que nous obtenions son assentiment, il décida de pointer ses branches, très haut vers le firmament, même s’il avait élu domicile, forcé, dans notre maison. Visiblement, il implorait le ciel de le ramener dans le bois… Nous espérions qu’il déploie ses ramages pour que nos décorations s’y nichent confortablement. Peine perdue! Ma blonde était au désespoir et avant que le pire n’arrive, j’ai dû user d’imagination et d’habileté…
J’ai pris plusieurs cintres dans le vestiaire; je les ai étêtés, coupés et j’ai raidi la courbure de leur arc jusqu’à ce qu’ils se métamorphosent en longues tiges. Armé de ces baguettes de fer, je vins à bout de l’entêtement du sapin. Je matai toutes branches qui, sous la contrainte, baissèrent les bras. Chacune passa la période des fêtes attachée au tronc de l’arbre. Le sapin fut dompté, bien malgré lui et personne ne remarqua le tour de force. Il faut dire que les lumières, les boules de Noël, les guirlandes et les glaçons camouflèrent le subterfuge. Et toute la famille succomba à la magie de Noël, en ne sachant pas à quel point notre sapin nous avait causé du fil à retordre…
Je n’ai pas de sapin naturel, ici on me l’interdit.
Je m’ennuie de ce qu’il représente pour moi:
la forêt de mon enfance, à quelques pas de notre maison,
le bonheur d’aller le choisir avec mes frères,
la décoration, moments magiques, c’était le rôle de ma grande soeur.
Je m’ennuie surtout de l’odeur qu’il répand dans la pièce.
J’ai dans la tête ton arbre magnifique avec son odeur!
Viens prendre une bouffée d’air de sapin quand tu veux…
Un certain Noël, alors que papa vivait encore et que le réveillon se passait chez-nous à Charlesbourg, nous avions déniché un sapin sauvageon que nous trouvions bien beau dans la forêt mais une fois rendu à la maison, il était plutôt dégarni et je dirais même qu’il faisait pitié. Nous l’avions donc décoré assez généreusement dans le but de combler les nombreux vides. Papa qui, faut le dire, avait un humour assez coquin, en le voyant, nous déclara sans ambages, il faut dire que les décorations sont mises en valeur avec un tel sapin. Et nous éclatâmes tous d’un rire mémorable.
Moi aussi, je me rappelle…